OTOR

Hommage à Jean-Yves Bacques​

OTOR CGT DS SMITH

Décédé à l'âge de 85 ans, le patron d’Otor était un visionnaire du carton ondulé
Hommage à Jean-Yves Bacques - Visionnaire et charismatique, Jean-Yves Bacques a dirigé Otor .

À quelques semaines d’intervalles, le carton ondulé perd deux figures majeures avec Philippe Leydier (Emin Leydier) et Jean-Yves Bacques. Le patron d’Otor nous a quittés à l’âge de 85 ans. Les souvenirs affluent. D’abord une image joyeuse. Devant une assemblée d’analystes financiers compassés, d’investisseurs médusés et de journalistes concentrés, Jean-Yves Bacques fait le show. Charismatique et volontiers provocateur, le patron d’Otor adore son métier et partage sans relâche sa passion pour l'innovation. Les papiers pour ondulé (PPO) légers, le recyclage, les subtilités de la préimpression et de l'impression directe, la caisse à pans coupés Otor 8, les caisses-outres, la résistance à la compression verticale (RCV), le rôle fondamental de la mécanisation, le prêt-à-vendre (PAV), la mise en rayon rapide, la commercialisation de brevets sous forme de licence : Jean-Yves Bacques explique et démontre inlassablement les vertus de ses produits et met la main à la pâte pour les démonstrations. Jean-Yves Bacques est un visionnaire qui peut s’appuyer sur une recherche et développement (R&D) à la pointe. Gérard Mathieu est à la manœuvre. Entrepreneur Une image plus contrastée ensuite : comme beaucoup d’entreprises séduites par la Bourse, Otor tente de concilier, à partir de 1994, le temps long de l’industrie et le court terme de la finance pour multiplier les investissements. L’aventure se solde par un terrible et très long conflit avec Jean-Pierre Millet et le fonds Carlyle. Les termes – secrets – d’un « pacte d’actionnaire » alimentent une polémique sans fin. À heure des portes qui claquent, des noms d’oiseaux et des actions en justice, le paroxysme est atteint en 2004, Jean-Yves Bacques et sa directrice générale Michèle Bouvier essaient de maintenir le cap dans la tempête, mais les blessures sont à vif. En juillet 2005, Carlyle prend le contrôle de l’entreprise. La conclusion est industrielle : Otor est repris par le britannique DS Smith en 2010 pour 247 millions d’euros. Soit deux papeteries, trois cartonneries, huit cartonnages et un site entièrement dédié aux machines. Le nom de Jean-Yves Bacques résonne encore dans les usines. Emballages Magazine salue avec émotion la mémoire d’un grand entrepreneur et adresse ses condoléances à sa famille et à ses proches.

Les ex-dirigeants d'Otor relaxés

OTOR CGT DS SMITH

Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier étaient
poursuivis pour abus de biens sociaux.

Meurtrie ! Après cinq années de procédure, Michèle Bouvier, ancienne directrice générale du fabricant d'emballages en carton ondulé Otor, se dit "meurtrie". Mais blanchie. Aucun des chefs d'accusation n'a été retenu par la justice. Tout commence en 2001. Alors que le fonds d'investissements Carlyle entre dans le capital de l'entreprise, des divergences apparaissent rapidement entre les dirigeants de l'entreprise - Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier - et le fonds d'investissement dirigé par Jean-Pierre Millet. Carlyle apporte une source de financement alors que le Crédit lyonnais refuse de suivre le groupe alors endetté par ses investissements. Le différent s'envenime puis est porté sur la place publique pour atteindre son paroxysme en 2004. Le contenu d'un pacte d'actionnaires secret fait l'objet de tous les débats. L'enjeu est clair : le contrôle de l'entreprise. Reste alors à s'entendre sur les clauses définies dans le pacte... Le conflit est porté devant un tribunal arbitral. C'est alors que Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier apprennent qu'ils font l'objet d'une plainte pour abus de biens sociaux (ABS) et usage de faux : un commissaire aux comptes dénonce des malversations portant, notamment, sur des honoraires de l'année 2003. Trois grands postes sont identifiés : les missions pour l'étude de la sécurité du réseau informatique, pour la mise en place de l'audit environnement et pour le passage aux normes comptables dites International Financial Reporting Standards (IFRS). Fin 2004, Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier sont mis en examen. Huit chefs d'accusation sont retenus. Juin 2005 : les deux dirigeants quittent l'entreprise. En mars 2008, le parquet se prononce pour un non-lieu général mais le juge d'instruction demande un renvoi pour deux. Mars 2009 : audience devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Fin mai : relaxe. La demande d'Otor, partie civile, est jugée irrecevable. Le jugement est aujourd'hui définitif.

Jean-Yves Bacques et
Michèle Bouvier en retrait

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Le président et la directrice générale d'Otor "se défont de leurs mandats" jusqu'à "la résolution du conflit avec Carlyle".

Fondateurs et actionnaires majoritaires d'Otor, Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier ont décidé, le 21 mars, de se défaire de leurs mandats respectivement de président et de directeur général jusqu'à la résolution du conflit qui les oppose au fonds Carlyle et à ses filiales offshores. Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier invitent ?les actuels représentants de Carlyle présents chez Otor et ses filiales à démissionner également afin de permettre au conseil d'administration d'assurer sa mission dans la sérénité. Le conseil a désigné Fabien Chalandon, banquier conseil des fondateurs depuis janvier 2004 et co-fondateur et « Managing Director » de la banque américaine The Chart Group, en qualité de président du conseil d'administration. Jean-Marie Paultes, directeur industriel et directeur général délégué, présent chez le transformateur de carton ondulé depuis 1988, devient directeur dénéral responsable de la gestion opérationnelle. Cette organisation ?devrait permettre de traiter séparément la gestion opérationnelle de l'entreprise et le règlement des conflits entre les actionnaires.

L'interview
MICHELE BOUVIER - OTOR

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Signe des temps, les entreprises qui ont besoin d'apports financiers ne peuvent plus compter ni sur la bourse pour la levée de fonds ou l'augmentation de capital, ni sur les banques pour l'augmentation de fonds propres. Une seule solution, les fonds d'investissements. Système acceptable, s'il n'était corrompu par certains pour qui la fin justifie les moyens. Victime parmi d'autres, la société Otor est un cas d'école

Michèle Bouvier, vous êtes directrice générale de la société Otor et votre actualité c’est le conflit qui vous oppose au fond d’investissement Carlyle ; pouvez-vous nous faire la genèse de ce conflit ?

 Nous sommes un groupe coté au second marché, numéro un français pour la fabrication de papier recyclé, numéro deux pour la fabrication d’emballages en carton et numéro un mondial en matière d’innovation sur ces deux activités. Otor a su acquérir un rang européen tout en gardant son indépendance financière. Nous avons apporté de nombreuses évolutions technologiques pour faire évoluer ce secteur. Petit à petit nous avons axé notre développement sur l’allègement des emballages qui s’est avéré être une demande très importante de la part de nos clients, dans le cadre des normes environnementales les plus exigeantes. Pour alléger les emballages il y a tout un process de fabrication que nous avons mis au point dans nos usines, mais ce qui nous manquait c’était un produit technique de base, c’est-à-dire un papier léger particulier. Nous avons décidé de lancer une usine capable de fabriquer ce type de produit. A cette époque, la société La Chapelle d’Arblais avait deux usines et souhaitait céder l’une d’entre elles pour des raisons de surcapacité. Cette société produisait du papier-magazine et nous avons pensé que ce type d’usine, après transformation, conviendrait parfaitement au type de papier que nous souhaitions produire. Nous nous sommes donc portés acquéreurs d’une des usines et en 1998 nous l’avons reconvertie à nos techniques. Les coûts de démarrage et de mise au point ont été plus lourds que prévu et ont impacté la trésorerie du groupe. En 1999 nous avons sollicité l’aide des banques à hauteur de 200 MF. A ce moment notre banque, le Crédit Lyonnais nous a dit qu’il nous fallait des fonds propres si nous souhaitions leur aide et nous a orientés vers sa société de finance Clinvest. Fin 1999, cette filiale du Lyonnais nous a présenté le fond d’investissement Carlyle que nous ne connaissions pas, sinon par l’opération qu’ils avaient mené sur le Figaro. On nous a certifié le sérieux de ce fond supposé faire du capital développement, en citant des noms comme l’ex-président Bush, John Major, … comme étant des personnalités actives au sein de ce fond. Nous avons donc signé, début 2000, une lettre d’intention avec Carlyle, malgré une évaluation basse de l’action de la société. A partir de ce moment, nous nous sommes trouvés soumis à des pressions de plus en plus fortes du Crédit Lyonnais qui nous encourageait vivement à une signature définitive avec le fond Carlyle sous peine de ne plus nous soutenir et ne plus payer les salaires.  « Il ne faut pas oublier que les fonds d’investissement ont une vision à court terme et exclusivement financière. 

Pour l’industrie cette vision est très différente. » Ils ont mis leurs menaces à exécution.

En février 2000, on nous a soumis, sous condition suspensive, un accord qui n’avait plus rien à voir avec le contrat initial : la valeur de l’action était descendue à un euro, et Carlyle créait une holding interposée qui nous laissait toute une partie de l’endettement. La lecture de ce contrat abusif fut un choc. Au même moment le Crédit Lyonnais nous a sommé de signer en disant qu’en cas de refus, il se retirerait et que nous n’aurions aucune chance de trouver d’autres partenaires bancaires compte tenu de leur dédit. Voilà comment nous avons été contraints de signer avec le fond d’investissement Carlyle. Le contexte de cette signature fut très bizarre. L’augmentation de capital fut donc lancée avec une valeur de trois euros par action, il était impossible techniquement de faire une augmentation avec une valeur plus basse, mais avec l’astuce du montage, le public devait payer trois euros par action alors que Carlyle n’en payait qu’un. Je vous rappelle qu’un an auparavant nous avions une offre à 300 millions d’euros, offre que nous avions décliné car nous sommes avant tout des entrepreneurs. L’augmentation faite, l’entreprise s’est redressée et a renoué avec les bénéfices, il ne s’agissait que d’un manque de trésorerie passager comme beaucoup d’entreprises peuvent en rencontrer. C’est à ce moment que les gens de Carlyle nous ont dit de partir, bien que le pacte l’interdisait formellement. Il ne nous restait que peu de choses en notre faveur dans le pacte, mais quoi qu’il arrive nous restions à la direction. A notre refus, Carlyle a décidé de convertir ses obligations par anticipation en invoquant des objectifs non atteints d’EBIDA, qui n’est pas une norme comptable, et, élégamment, de nous dire qu’il nous écraserait « comme des rats ».

 Depuis le début du conflit, quasiment à chaque procédure, Carlyle nous réclame 10 millions d’euros de dommages et intérêt, et ce en tant que personne publique. C’est ainsi que le conflit s’est ouvert, en septembre 2001. Carlyle faisant savoir au personnel que l’actuelle direction n’en avait que pour 15 jours. Cela fait bientôt trois ans.

Pensez-vous qu’il y ait eu de la part de Carlyle une volonté de prise de contrôle dès le départ ?

C’est une évidence.

Selon vous c’est le Crédit Lyonnais qui vous a présenté ce fond d’investissement ; pensez-vous qu’il ait été informé des intentions de Carlyle ?

Je n’accuse personne, mais ce n’est pas un secret, le Crédit Lyonnais est un gros investisseur chez Carlyle.

Je n’accuse personne, mais ce n’est pas un secret, le Crédit Lyonnais est un gros investisseur chez Carlyle.

A ce titre pensez-vous que les banques ne soient plus en mesure de soutenir le tissu industriel français et qu’elles se livrent à des opérations financières à court terme ?

Auparavant les banques avaient un rôle de soutien et d’intérêts bien compris avec les entreprises. Maintenant elles ne jouent ce rôle que très rarement et celui-ci incombe aux fonds d’investissement qui peuvent être durs mais avec un comportement correct, rien de commun avec notre affaire. Il ne s’agit pas de diaboliser les fonds d’investissement, la plupart n’auraient jamais provoqué un conflit ouvert de ce type en trouvant des issues via des transactions et surtout en sauvegardant les intérêts de l’entreprise.

Lorsque vous aviez signé ce contrat avec Carlyle, aviez-vous vu les pièges de cet accord ?

Le contrat était épouvantablement obscur, notamment sur les clauses d’arbitrage qui impliquent en cas de conflit des rapports disproportionnés lorsque que l’on oppose des personnes physiques à un fond qui a énormément d’argent. Pour le règlement des litiges, le passage par un tribunal arbitral coûte une fortune. J’avais demandé que cette clause soit retirée mais on m’a répondu que c’était une clause essentielle et que toute remise en cause motiverait leur départ. Ils considéraient que nous n’avions aucune chance face à leur puissance financière. Il y avait également la clause EBIDA. Carlyle nous a répondu que l’avenir de l’entreprise leur importait avant tout et que cette clause ne serait appliquée qu’en ultime recours. Six mois après, ils l’appliquaient. Il faut savoir que l’EBIDA n’est pas une norme comptable, elle n’est pas standardisée et sa définition incluse dans le pacte était éminemment floue, avec des termes contradictoires permettant de multiples interprétations. Après diverses péripéties et analyses divergentes d’experts pris par chacune des parties, le tribunal arbitral a désigné le cabinet Price Waterhouse pour statuer. Il s’est avéré que Price Waterhouse agissait déjà comme conseil auprès de Carlyle, nous avons donc récusé ce cabinet. Enfin, il s’avère qu’en décembre 2003 notre cours d’action a été manipulé et nous avons déposé une plainte en ce sens. A cette période j’ai appris que Carlyle était allé voir la COB et j’ai souhaité également la rencontrer. C’est ainsi qu’elle m’a demandé de rendre le litige public par des communiqués officiels, ce qui m’a d’ailleurs valu une avalanche de menaces de la part de Carlyle.

Quels appuis avez-vous pu trouver sur ce dossier ?

 

Nous avons pu trouver des experts et des avocats efficaces ainsi que des appuis importants stimulés par l’intérêt du dossier. 

J’ai noté que les salariés du groupe sont troublés par cette affaire.

Ils le sont en effet. Otor, c’est 3000 emplois et presque autant de sous-traitants. Ils ont peur, ils savent que si Carlyle a gain de cause, l’entreprise risque d’être démantelée et leur emploi supprimé. L’objectif de départ est de fermer certains sites déjà clairement identifiés ; notamment Poitiers et Rouen : sur 300 postes Carlyle veut en supprimer 200, ce qui est beaucoup. Il y a des précédents sur les méthodes Carlyle : Genoyer où la direction a été renvoyée, et où actuellement la société est en quasidépôt de bilan, Terreal où le climat social est déplorable et l’avenir de l’entreprise plus qu’incertain, et bien d’autres dont certaines dans des secteurs beaucoup plus sensibles. Gemplus, fleuron de la technologie française, a été vidée de sa substance par un fond similaire. La presse régionale s’est faite l’écho de ces problèmes, mais au niveau national les médias y sont moins sensibles. Aujourd’hui ce qui est remarquable c’est que je ne sais pas qui sont mes actionnaires. En cherchant je suis tombée sur une société luxembourgeoise, détenue par des sociétés à Guernesey elles même détenues par une société des îles Caïman. Qu’une holding face de la défiscalisation reste assez classique, ce qui l’est moins c’est la complexité et l’opacité du montage.

Pourquoi pensez-vous qu’elle ait été intéressée par votre activité ?

Pour faire un coup facile avec une belle plus-value. Il y a eu deux phases dans nos relations, la première où l’on nous a dit que le développement de la société était l’axe prioritaire et la seconde où l’on nous a clairement dit que l’argent était leur unique objectif, avec cette expression « nous voulons tout ».

Nous avions tenté de faire une offre pour apaiser le conflit, mais Carlyle a placé la barre tellement haut qu’il était impossible de suivre d’autant qu’ils ont refusé tout contrat. « Nous ne signerons rien avec vous, venez avec un chèque, nous verrons si nous l’acceptons », quand on s’entend dire ce genre de chose, la conversation tourne vite court.

Croyez-vous que votre conflit soit un phénomène localisé ou s’inscrit-il dans un schéma plus large ?

 

Je pense qu’une tendance forte est engagée et que les structures financières prennent le pas sur les motivations des industriels. Avec certains fonds d’investissements, les choses peuvent bien se passer, mais il ne faut pas oublier que ce type d’organisme a une vision à court terme et exclusivement financière. Pour l’industrie, cette vision est différente. 

 

 

Propos recueillis par Thierry ALEXANDRE 

 

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